Le sujet est de moins en moins tabou : « Les initiatives Lean entamées les 10 dernières années dans l’industrie, n’ont pas toutes été couronnées de succès, loin s’en faut »
Et même si ce discours n’est encore pas totalement audible, de plus en plus de publications pointent les travers, les demi-succès, voire les échecs des démarches Lean dans certaines entreprises (et non des moindres). Pour nombre d’entre-elles, le Lean s’est traduit par « beaucoup de bruit pour pas grand-chose », pour d’autres, par une explosion d’initiatives coûteuses en temps et en énergie pour des résultats timorés, et pour beaucoup, l’amélioration continue du Lean s’est muée en Agitation Continue …
La philosophie Lean est-elle pour autant en cause ? La réponse est clairement non : il est peu imaginable qu’une démarche visant à simplifier les choses, à se centrer sur l’essentiel, à éliminer les gaspillages, à favoriser le collectif, soit néfaste à l’entreprise.
Mais si la finalité du Lean n’est pas à remettre en cause, des études montrent que les moyens et méthodes pour y parvenir ont trop souvent été à l’opposé des préceptes du Lean : implication décrétée, résultats imposés, planning à marche forcée, avalanche d’indicateurs sans signification pour les salariés, … autant de travers qui ne pouvaient donner de bons résultats.
En cause, un emballement médiatique initial qui a divisé le monde industriel en deux : ceux qui « faisaient du Lean » et qui donc représentaient l’avenir de l’industrie, et ceux qui restaient à l’âge de pierre. Résultat : plus une seule entreprise qui ne soit « engagée dans une démarche Lean », sous peine d’être définitivement classée « has-been ».
L’engouement médiatique est alors devenu contre-productif, adoptant un discours simplificateur à outrance, suscitant l’émergence de nouveaux gourous, et incitant chaque entreprise à lancer d’urgence son programme Lean sur un terreau manquant parfois de recul, sans s’assurer au préalable des conditions de mise en œuvre, et tentant vainement d’appliquer une recette, sans en avoir tous les ingrédients.
Alors quand je vois le buzz autour de Industrie du Futur, je ne peux m’empêcher d’y voir des similitudes : des publications vendeuses de technologie, des entreprises encore peu préparées mais qui recrutent des « Responsable Industrie du Futur », des potentiels de gains qui font rêver, mais aucune démonstration chiffrée un tant soit peu solide, pas une ligne sur les précautions d’emploi et une quasi absence de méthodologie pour les études de faisabilités …
Ne sommes-nous pas, comme pour le Lean, en train de créer une génération d’entreprises déçues de l’Industrie du Futur (si elles y survivent) avant même d’avoir fait le premier pas ?
Car les risques ne sont pas les mêmes : là où un Lean peu efficace a généré beaucoup d’agitation et un peu de déperdition, mais finalement assez peu de catastrophes, Industrie du Futur fait peser des risques majeurs pour les entreprises qui s’y engageraient en se contentant des vagues promesses de la presse : Industrie du Futur incite massivement à l’investissement technologique, dans une version particulièrement agressive de Techno-Push, qui va structurer physiquement les entreprises pour de nombreuses années.
Et cette structuration aura un impact à la fois sur la dimension Technique et Savoir-Faire de l’entreprise, mais aussi sur les aspects économiques (modification des structures de bilan et de coût des produits) et humain (mutation de la structuration des compétences et des systèmes de management). Dans ces conditions, il est à craindre que des investissements réalisés à la hâte sclérosent plus l’entreprise qu’ils ne lui apportent de flexibilité.
Il me semble donc urgent de mettre en œuvre une communication autour de Industrie du Futur qui soit plus objective, plus apaisée, et qui informe plus qu’elle ne vende.
Il faut impérativement que les entreprises, et en premier lieu leurs dirigeants, puissent bénéficier d’une information de qualité sur les tenants et les aboutissants des différentes solutions qui s’offrent à eux, sur un périmètre qui ne se cantonne pas à la technologie, mais embrasse aussi les impacts économiques et humains à moyen et long-terme pour leur entreprise.
Recentrons le débat sur les bénéfices de Industrie du Futur pour l’entreprise, sur les conditions de réussites, sur une vision objective des risques et opportunités, et non uniquement sur les prouesses (et promesses) technologiques.